Tu seras étonnée de découvrir cette lettre dans mon coffre, sur un paquet de titres. Il eût mieux valu peut-être la confier au notaire qui te l’aurait remise après ma mort, ou bien la ranger dans le tiroir de mon bureau, le premier que les enfants forceront avant que j’aie commencé d’être froid. Mais c’est que, pendant des années, j’ai refait en esprit cette lettre et que je l’imaginais toujours, durant mes insomnies, se détachant sur la tablette du coffre, d’un coffre vide, et qui n’eût rien contenu d’autre que cette vengeance, durant presque un demi-siècle, cuisinée. Rassure-toi ; tu es d’ailleurs déjà rassurée : les titres y sont. Il me semble entendre ce cri, dès le vestibule, au retour de la banque. Oui, tu crieras aux enfants, à travers ton crêpe : « Les titres y sont. » |
Le Nœud de vipères (François Mauriac - 1932) |